mercredi 20 décembre 2006

Tous étaient tristes mais tous ne pleuraient pas

Au diapason des humeurs grises qui infiltraient nos corps, le ciel exhibait des lambeaux de nuages presque pleurant. C’était la dernière sortie normande de notre kiné, déjà enlevé par une toulousaine aux avantages mieux profilés que les nôtres. Transformé, le gros du peloton, comme il aimait à se dénommer dans les moments escarpés et difficiles, se révélait ce jour-là d’une fluidité et d’une énergie inouïes. Désireux de contrarier l’image cycliste que nous avions pu nous forger de lui, au fur et à mesure des années, celle d’un aimable rouleur et bon compagnon, d’échappée comme d’attardée, il choisit ce jour-là un parcours chaotique, athlétique à souhait, pourvu d’une multitude de bosses dont deux mastodontes inégalables. Personne ne put le tenir ni le retenir. Du menu au maigrelet, du trappu au trapéziste, du chenu au chenapan, du grenu au grimaçant, aucun cyclosophe ne put épingler une pancarte. Toutes, il les mit dans son escarcelle, cette aumônière qu’il porte au-devant de son guidon. Tous, ils paraissaient tétanisés, fauchés au plus fort de leur sprint à la pancarte par un Fred survolté. Qu’ils partent en free-lance, en avant-coureur dans les murs aux lacets asphyxiants, toujours ils tombaient à la pancarte, effacés comme des mouches par un monstre qui-n’est-thérapeute mais tératogénique. Tous étaient tristes et certains pleuraient. Sûr. C’était le 21 octobre 2006.

Deux mois après sa prestation insolite, il nous reste un grand vide. Aussi fidèle au poste, en toute saison, qu’au ahanement, excellent compagnon, jamais d’humeur massacrante, impossible de remplacer Fred. Plus de cyclosophes au boulingrin, c’est l’hiver et l’hiver il n’y avait que Fred. Et si, dorénavant, il nous faut pour nous rassembler le départ d’un autre d’entre nous, alors encore quelques fuites et nous survivrons sous forme de diaspora cyclosophique animée de quelques fragments cyclosophiques tels que le dérèglement de compteur, le code de déroutologie et l’honte au logis. Quand même, il nous reste quelques os à ronger comme la muraille de la Bouille. Une mauvaise blaque – demander au Lascar ce qu’il en pense – de moins d’un km sans doute pour 120m de dénivelée, que ce farceur a escaladé sans mettre pied à terre avant d’achever son mémorial par la côte des Gravettes, triste muraille qui n’a rien d’une escarpolette.

Alors : salu Phred